Le monde francophone n’a reçu que 20,5 % des aides françaises au développement en 2019 (Face à l’Union européenne qui se taille la part du lion, le monde francophone demeure le parent pauvre de l’aide française au développement).


Rédigé le 17 Novembre 2021 à 12:06 | 0 commentaire(s) modifié le 18 Novembre 2021 20:35


(Equonet- Dakar) - Contrairement à une idée largement répandue, le monde francophone ne bénéficie que d’une partie très minoritaire des aides publiques françaises au développement, face à une Union européenne qui se taille constamment la part du lion. Une politique peu francophonophile, contraire aux intérêts de la France et traduisant un manque de pragmatisme, d’intelligence stratégique et de vision à long terme. Et les récentes augmentations annoncées ne changent pratiquement rien à la donne, car accompagnées d’une forte hausse parallèle de la contribution nette de la France au budget de l’Union européenne, notamment du fait du Brexit.


Selon les dernières données disponibles auprès de la Commission européenne et de l’OCDE, après détermination de la contribution nette de la France au budget de l’Union européenne (UE) et après imputation des aides multilatérales pour les pays situés en dehors de l’UE, la part du monde francophone dans les aides publiques françaises au développement peut être estimée à environ 20,5 % en 2019, soit un montant d’environ 3,8 milliards d’euros. Un niveau se situant loin derrière celui de l’UE, dont la part s’est établie à 41,4 % (ou 7,7 Mds d’euros), et essentiellement au bénéfice des 13 pays de sa partie orientale et de leurs 114 millions d’habitants seulement, début 2019.
 
 
Une politique qui demeure peu francophonophile
 
Les 27 pays francophones du Sud, et leurs 425 millions d’habitants début 2019, presque entièrement situés sur le continent africain, ont donc continué à ne bénéficier que d’une faible partie des aides françaises au développement, leur part oscillant généralement entre 15 et 20 % de l’enveloppe globale, avec une moyenne d’environ 17,4 % sur la période de cinq années 2015-2019 (soit environ 2,9 milliards d’euros en moyenne annuelle, aides multilatérales et bilatérales confondues). Un chiffre qui constitue une estimation, à quelques décimales près, compte tenu de l’existence d’un certain nombre de dépenses ne faisant pas l’objet d’une répartition précise pour les pays bénéficiaires non membres de l’UE, et concernant notamment les étudiants étrangers, les demandeurs d’« asile » et les frais administratifs (qui sont alors répartis approximativement en fonction des données disponibles sur le poids de la présence francophone dans ces différentes catégories de dépenses). Par ailleurs, cette estimation ne tient pas compte des aides destinées à Wallis-et-Futuna, archipel du Pacifique Sud comptabilisé par le gouvernement français et l’OCDE, mais ne pouvant pourtant être pris en considération puisqu’il s’agit d’un territoire français.
 
À l’inverse de l’espace francophone, l’UE continue donc à s’accaparer la part du lion, avec une part se situant en général à plus de 40 % de l’effort financier de la France, et ayant même parfois dépassé la barre des 50 %. Sur la période 2015-2019, cette part s’est établie à 43,1 %, soit 7,2 Mds d’euros en moyenne annuelle. Ainsi, l’UE s’accapare chaque année l’écrasante majorité des dix premières places des principaux pays bénéficiaires des aides françaises au développement. En 2019, sept des dix premières places étaient donc occupées par des pays membres de l’UE, contre seulement deux pour le monde francophone (le Cameroun, premier pays francophone n’arrivant qu’en septième position). Trois ans plus tôt, en 2016, neuf des dix premières places étaient occupées par des pays de l’UE, contre aucune pour le monde francophone (le Maroc, alors premier bénéficiaire francophone, n’arrivant qu’en onzième position).
 
Par conséquent, force est de constater que les 13 pays situés dans la partie orientale de l’UE (des pays baltes au nord à Chypre au sud, et que l’on appellera UE-13) ont bénéficié en 2019 d’un effort financier environ 1,8 fois plus important que l’ensemble des 27 pays francophones du Sud (soit environ 6,7 Mds d’euros, frais administratifs inclus), en dépit d’une population près de 4 fois inférieure début 2019 (et répartie sur un espace 11 fois moins vaste), soit un volume d’aide par habitant environ 6,5 fois supérieur. Des aides publiques qui sont, de surcroît, octroyées à des conditions plus favorables aux pays de l’UE-13, car intégralement sous forme de dons (un sixième étant remboursable pour les pays francophones) et non assorties de la moindre condition, directe ou indirecte, ni même ponctuelle, en matière d’attribution de marchés.
 
Ainsi, et bien que peuplée de seulement 1,3 millions d’habitants, l’Estonie a reçu en 2019 une aide française au développement de 166,6 millions d’euros, soit largement davantage (+77 %) que l’aide reçue par le Congo-Kinshasa (93,9 millions), qui n’est autre que le premier pays francophone du monde avec ses 85,7 millions d’habitants début 2019, et dont la capitale Kinshasa est désormais la plus grande des villes francophones avec ses 15 millions d’habitants (et ne cessant de creuser l’écart avec Paris, 11 millions d’habitants). En d’autres termes, le montant de l’aide française par habitant reçue par ce petit pays balte a été non moins de 115 fois supérieure à celle reçue par le Congo-Kinshasa (ou République démocratique du Congo, RDC), soit 125,7 euros par habitant contre seulement 1,1 euro. Autre exemple frappant, le Maroc, un des plus grands et sincères amis de la France, et modèle de développement et de bonne gouvernance pour le monde arabe et le continent africain, a reçu une aide de 243 millions d’euros, soit bien moins que la Pologne à laquelle a été octroyée une somme de 2,103 Mds d’euros. Et ce, pour une population à peu près égale (38 millions contre 36 début 2019 pour le royaume chérifien, qui la dépassera bientôt), et en dépit d’une politique économique et étrangère souvent contraire aux intérêts français. Des écarts considérables que confirment d’ailleurs les moyennes des aides reçues sur la période de cinq années 2015-2019, la Pologne ayant bénéficié d’une enveloppe annuelle de 1,748 Md d’euros en moyenne, contre seulement 0,288 Md pour la Maroc. Quant à l’Estonie et la RDC, la première s’est vue allouer une aide annuelle moyenne de 96 millions d’euros, contre seulement 109 millions d’euros pour le Congo-Kinshasa. Des moyennes qui permettent d’ailleurs de constater une dégradation récente de la situation, et non l’inverse…
 
Certes, et outre le fait que les montants indiqués pour ces deux derniers pays francophones soient légèrement sous-évalués (car s’y ajoutent un certain nombre d’aides versées à des étudiants et demandeurs d’asile, et n’ayant pas fait l’objet d’une répartition précise par pays), il convient de rappeler que les aides françaises au développement ne constituent pas les seuls flux financiers en provenance de France, puisque doivent être également pris en compte les flux en provenance des diasporas francophones vivant dans l’Hexagone, ainsi que les investissements réalisés par les entreprises françaises dans les pays francophones. Toutefois, et à l’exception du Maroc et de la Tunisie (qui comptent une importante diaspora en France et accueillent de nombreuses entreprises tricolores qui y ont créé des dizaines de milliers d’emplois, directs et indirects, et paient de nombreux impôts, sous différentes formes), la prise en compte de ces flux supplémentaires ne change rien au fait que les transferts reçus par les pays francophones demeurent très en deçà de ceux reçus, par habitant, par chacun des 13 pays d’Europe orientale membres de l’UE, et qui comptent d’ailleurs également des ressortissants en France et reçoivent divers investissements français).
 
 
Une politique irrationnelle et contraire aux intérêts de la France
 
Cette politique d’aide au développement est contraire à toute logique économique ou géopolitique. D’un point de vue économique, d’abord parce que les pays de l’UE-13 s’orientent principalement et historiquement vers l’Allemagne, qui arrive très largement en tête des pays fournisseurs de la zone, avec une part de marché d’environ 20 % chaque année (19,5 % en 2019), contre toujours moins de 4 % pour la France, dont les aides massives reviennent donc quasiment à subventionner les exportations allemandes. Une politique que l’on pourrait résumer par la célèbre expression « travailler pour le roi de Prusse », qui semble être désormais la doctrine de la politique étrangère de la France.…
 
Ensuite, parce que toutes les études économiques démontrent que les échanges peuvent être bien plus importants entre pays et peuples partageant une même langue. À ce sujet, un seul exemple suffit à prouver l’impact économique du lien linguistique : les touristes québécois sont proportionnellement quatre fois plus nombreux que les touristes américains à venir chaque année en France… et à y dépenser. En d’autres termes, toute richesse générée dans un pays francophone au profit de l’économie locale finit par être intégrée en bonne partie au circuit économique d’autres pays francophones, et ce, en vertu d’un mécanisme semblable à celui des vases communicants. D’où le concept de « zone de coprospérité », qui est d’ailleurs une des traductions possibles du terme Commonwealth. Ce lien linguistique explique également en bonne partie la position globalement encore assez bonne de la France en Afrique francophone, dont elle demeure le second fournisseur en dépit d’un certain manque d’intérêt, avec une part de marché globale estimée à 11,5 % en 2019, derrière la Chine, 15,6 %. Une part largement supérieure à celle de l’Allemagne, estimée à 3,9 %, et qui arrive même derrière l’Espagne (7,3 % et troisième fournisseur), l’Italie et les États-Unis (5,5 % respectivement).
 
Enfin, parce que c’est dans cette même Afrique francophone qu’il convient d’investir massivement, d’une part afin de tirer pleinement profit des opportunités et du dynamisme que l’on trouve dans ce vaste ensemble de 25 pays, partie globalement la plus dynamique économiquement du continent et un de principaux relais de la croissance mondiale, et d’autre part car c’est bien en accélérant l’émergence économique de cet ensemble qu’augmentera encore plus fortement le nombre d’apprenants du français à travers le monde, et ce, au bénéfice économique et géopolitique de la France, mais aussi au bénéfice de tous les pays francophones du monde.
 
Et pour ce qui est du niveau géopolitique, justement, le caractère irrationnel de la politique française d’aide au développement s’explique également par le fait que l’écrasante majorité des pays de l’UE, malgré les aides massives versées chaque année par l’Hexagone, vote régulièrement contre les positions françaises au sein des grandes instances internationales, et ce, au profit des États-Unis et contrairement à la majorité des pays francophones qui partage avec la France nombre de valeurs et d’orientations communes en matière de politique étrangère, et dont il convient alors d’accroître le poids.
 
Ainsi, l’intérêt pour la France de consacrer une part aussi importante de ses aides et de son énergie aux pays de l’UE-13 se révèle donc extrêmement marginal, en comparaison avec les avantages économiques et géopolitiques qu’elle tirerait d’une nouvelle répartition plus favorable aux pays du monde francophone. En d’autres termes, la prépondérance européenne dans les aides françaises au développement ne fait incontestablement qu’affaiblir la France au niveau international, tant économiquement que géopolitiquement (les deux étant d’ailleurs, à terme, étroitement liés).
 
Certes, la France est une grande puissance mondiale, la deuxième ou troisième tous critères de puissance confondus (capacités militaires, économie, technologie, influence géopolitique et culturelle, territoire maritime…). Des critères qui doivent d’ailleurs toujours être pris en compte dans leur ensemble afin de pouvoir correctement apprécier le poids d’un pays (tout comme l’on compare toujours les élèves d’une même classe sur l’ensemble des matières étudiées, et non sur une seule d’entre elles). La France est territorialement présente sur quatre continents et militairement sur cinq continents, notamment grâce aux « DOM-TOM » (ce qui n’est pas le cas de la Russie, par exemple). Grâce à sa vaste zone économique exclusive (ZEE), la seconde plus vaste au monde avec des 10,2 millions de km2, elle compte non moins de 34 pays frontaliers à travers la planète (dont 23 uniquement par mer), ce qui constitue un record mondial, devant le Royaume-Uni (25 pays) et les États-Unis (18 pays). En tant que puissance mondiale, la France se doit donc d’être financièrement présente sur tous les continents, y compris en Europe. Mais afin de consolider ce statut, la France doit privilégier le vaste monde francophone, où le retour sur investissement est bien supérieur, à travers les grandes opportunités économiques qu’il présente désormais, et grâce à sa contribution considérable à l’augmentation du nombre d’apprenants du français à travers le monde, du fait de sa double émergence démographique et économique (le monde francophone venant d’ailleurs de dépasser démographiquement l’ensemble UE - Royaume-Uni, avec une population estimée à 524 millions d’habitants début 2021, contre 514 millions, et ayant dépassé quelques années plus tôt l’espace hispanophone, 470 millions d’habitants). Occasion de rappeler, au passage, que l’espace francophone est près de quatre fois plus vaste que l’UE tout entière, contrairement à ce qu’indiquent la plupart des cartes géographiques en circulation, qui en divisent la superficie par deux ou par trois). La langue étant le principal vecteur d’influence culturelle, avec, in fine, d’importantes répercussions économiques et géopolitiques, la France doit donc investir prioritairement dans son espace linguistique afin d’amplifier la progression de la langue française dans le monde, aussi bien au bénéfice de ses propres intérêts que de ceux de l’ensemble des pays et peuples francophones du monde.


 
L’Afrique francophone subsaharienne, un espace de plus en plus propice à l’investissement
 
La priorisation du monde francophone est d’autant plus justifiée que la majorité des pays francophones du Sud ont réalisé de grandes avancées en matière de bonne gouvernance, et qui ont contribué à faire de l’Afrique subsaharienne francophone la partie la plus dynamique économiquement et la moins endettée du continent africain, dont elle continue à être le moteur de la croissance. Ainsi, et malgré la pandémie, cet ensemble de 22 pays a globalement réalisé en 2020 les meilleures performances économiques du continent pour la septième année consécutive et la huitième fois en neuf ans. Sur la période 2012-2020, soit neuf années, la croissance annuelle de cet ensemble s’est ainsi établie à 3,5 % en moyenne (4,0 % hors cas très particulier de la Guinée équatoriale, dont la production pétrolière a baissé presque aussi vite qu’elle n’avait augmenté au début des années 2000), contre 2,1 % pour le reste de l’Afrique subsaharienne. Pour rappel, et juste avant la pandémie, la croissance globale annuelle s’était établie à 4,2 % pour l’Afrique subsaharienne francophone sur la période 2012-2019 (4,7 % hors Guinée équatoriale), et à 2,8 % pour le reste de l’Afrique subsaharienne.
 
De son côté, l’espace UEMOA constitue depuis plusieurs années la plus vaste zone de forte croissance du continent, avec une hausse annuelle globale du PIB de 5,6 % en moyenne sur la période de neuf années 2012-2020 (et 6,3 % sur la période 2012-2019). Une grande performance compte tenu du fait que cette région ne constitue pas la région la plus pauvre du continent, place occupée par l’Afrique de l’Est. Ainsi, la Côte d’Ivoire, qui a affiché une croissance de 7,4 % en moyenne sur la période 2012-2020, soit la deuxième plus forte progression au monde (et la plus importante pour la catégorie des pays ayant un PIB par habitant supérieur à 1 000 dollars début 2012), est récemment devenue le pays le plus riche d’Afrique de l’Ouest continentale, en réussissant notamment l’exploit de dépasser le Nigeria, dont la production pétrolière est environ 50 fois supérieure (avec un PIB par habitant de 2 326 dollars pour la Côte d’Ivoire début 2021, contre 2 097 dollars, selon la Banque mondiale). Le Nigeria devrait d’ailleurs être bientôt dépassé par le Sénégal, et à moyen terme par le Cameroun, qui réalisent souvent des taux de croissance deux ou trois fois plus élevés (et qui affichent un PIB par habitant de 1 488 et de 1 499 dollars, respectivement, et loin de pays comme l’Éthiopie ou le Rwanda, où il s’établit à 936 et 798 dollars, respectivement). Parallèlement, la Côte d’Ivoire, qui continue à creuser l’écart avec le Kenya (1 838 dollars, et pays le plus prospère d’Afrique de l’Est continentale, après Djibouti, pays francophone), est récemment devenue le premier pays africain de l’histoire disposant d’une production globalement assez modeste en matières premières non renouvelables, à dépasser en richesse un pays d’Amérique hispanique, à savoir le Nicaragua dont le PIB par habitant atteignait 1 905 dollars début 2021 (hors très petits pays africains de moins de 1,5 million d’habitants, majoritairement insulaires). La Côte d’Ivoire est d’ailleurs sur le point de devancer également le Honduras, dont le PIB par habitant s’établissait à 2 406 dollars début 2021.
 
Pour sa part, et grâce notamment à de nombreuses réformes, le Niger n’est désormais plus le pays le plus pauvre d’Afrique de l’Ouest, ayant récemment dépassé la Sierra Leone (565 dollars par habitant début 2021, contre 484 dollars). De plus, le pays pourrait dès cette année dépasser le Liberia, autre pays anglophone côtier (583 dollars). Le Niger est d’ailleurs sur le point de quitter la liste des dix pays les plus pauvres du continent, et dépasserait désormais non moins de 15 pays africains en matière de développement humain, selon le classement de la fondation Mo Ibrahim (plus fiable sur ce point que l’ONU qui place systématiquement - et étrangement - le Niger, au taux de fécondité le plus élevé au monde, à la dernière position du classement, derrière un pays comme le Soudan du Sud qui est pourtant réputé être le moins développé du continent - avec la Somalie, non classée…).
 
Désormais, seul un des quatre pays les plus pauvres du continent est francophone, à savoir le Burundi, qui se trouve aux côtés du Soudan du Sud, de la Somalie et du Mozambique, trois autres pays d’Afrique de l’Est, qui constitue également la partie la plus instable du continent, puisque l’on y trouve notamment deux des trois pays ayant connu les conflits les plus meurtriers de la dernière décennie, proportionnellement à leur population (le Soudan du Sud et la Somalie). À ces conflits, s’ajoutent un certain nombre de problèmes sécuritaires (terrorisme islamique dans le nord du Mozambique…), et de tensions interethniques, comme en Éthiopie où elles avaient déjà provoqué la mort de nombreuses personnes avant même le début de la guerre civile, fin 2020 (ce qui en fait l’un des pays africains souffrant des plus fortes tensions sociales, avec, en particulier, l’Afrique du Sud et ses plus de 15 000 homicides par an).
 
Quant à l’endettement, l’Afrique subsaharienne francophone demeure la partie la moins endettée du continent, avec un taux global de dette publique qui devrait s’établir à 49,4 % du PIB fin 2021, selon le FMI (58,4 % pour l’ensemble de l’Afrique francophone, Maghreb inclus). Un niveau largement inférieur à celui de la majorité des pays développés, ainsi qu’à celui du reste de l’Afrique subsaharienne qui devrait se situer à 62,3 % (68,3 % pour l’ensemble de l’Afrique non francophone). Il est également à noter que seuls deux ou trois pays francophones font chaque année partie des dix pays les plus endettés du continent, et qu’aucun d’entre eux ne fait partie des cinq les plus endettés.
 
Enfin, les pays francophones sont globalement moins inégalitaires. La République centrafricaine serait même le seul pays francophone parmi les dix pays africains les plus inégalitaires (selon les données de la Banque mondiale relatives à l’indice GINI, qui est toutefois insuffisamment fiable faute de données assez récentes).
 
La progression de l’Afrique subsaharienne francophone résulte notamment des nombreuses réformes accomplies par la majorité des pays en matière de diversification et d’amélioration du climat des affaires. Sur ce dernier point, certains pays ont ainsi réalisé un bon considérable entre les classements 2012 et 2020 de la Banque mondiale, et notamment le Togo (passé de la 162e à la 97e place), la Côte d’Ivoire (de la 167e place à la 110e place), le Sénégal (de la 154e à la 123e) ou encore le Niger (passé de la 173e à la 132e place) et qui talonne ainsi désormais le Nigeria (131e), et fait largement mieux que l’Angola (177e) ou encore que l’Éthiopie (classée 159e, avant le début de la guerre civile).
 
Au nom de ses propres intérêts, la France doit donc porter une attention plus importante au monde francophone, à travers une répartition plus favorable à celui-ci de ses aides publiques au développement. Une nouvelle répartition qui pourrait au minimum prendre la forme d’un rééquilibrage entre l’Union européenne et le monde francophone, et qui permettrait au moins à la France de renforcer ses positions dans les pays francophones du Sud, et en particulier dans ceux où elle est assez faiblement présente. Et ce, comme en RDC, grand pays stratégique qui n’est autre que le premier francophone du monde avec ses 93 millions d’habitants, et où la quasi-absence de la France constitue probablement la meilleure illustration du manque d’intérêt de celle-ci pour l’espace francophone. En effet, la part de la France dans le commerce extérieur de la RDC, vaste comme plus de la moitié de l’UE, s’est établie à seulement 0,5 % en 2020 (comme en 2018), très largement derrière la Chine dont la part se situe chaque année autour de 30 % (36 % en 2020). Et comme les années précédentes, la RDC est arrivée bien au-delà de la 100e position dans le classement mondial des partenaires commerciaux de l’Hexagone, dont elle n’a représenté que 0,02 % du commerce extérieur (soit seulement 1 cinq-millième du total). Ce désintérêt de la France se traduit également au niveau de la part des étudiants originaires du pays dans l’ensemble des étudiants présents en France (0,6 % du total pour l’année universitaire 2018-2019, et seulement 1,3 % des étudiants africains), de la part du pays dans les aides françaises au développement (0,5 % en 2019, et très majoritairement par la voie multilatérale, ce qui témoigne de l’extrême faiblesse des relations directes entre les deux pays), ou encore au niveau de la part infime des projets y étant réalisés par les collectivités et structures intercommunales françaises au titre de la coopération décentralisée en Afrique (< 2 %). La France pourrait pourtant, et sans grande difficulté, accroître sa présence en RDC, dont la forte dépendance vis-à-vis de la Chine risque de nuire, à terme, à la souveraineté et aux intérêts du pays (la Chine a absorbé 41 % des exportations de la RDC, dont elle est également devenue le principal créancier bilatéral).


 
Des perspectives peu encourageantes 
 
Les dernières évolutions de la politique française d’aide au développement ne permettent guère de déceler un réel changement d’attitude, et encore moins de paradigme, de la part des autorités françaises. En effet, les récentes augmentations du volume d’aide annoncées pour les années 2020 et 2021 ne changent pratiquement rien à la donne, car accompagnées d’une forte hausse parallèle de la contribution nette de la France au budget de l’UE, qui a augmenté de non moins de 23 % en 2020 (pour un total de 9,5 Mds d’euros), et ce afin de compenser la sortie du Royaume-Uni ainsi que la réduction exigée par certains pays d’Europe de l’Ouest de leur contribution au budget de l’UE (les « Rabais »). 
 
De toute façon, tant que le monde francophone continuera à ne recevoir qu’un cinquième ou un sixième du total des aides versées par l’Hexagone à des pays tiers, et tant que l’espace composé par les pays francophones du Sud recevra proportionnellement à sa population six, sept ou huit fois moins d’aides que l’ensemble composé par les pays de la partie orientale de l’UE, toutes les déclarations officielles en faveur de la « francophonie » ou de la « francophonie économique » ne seront guère à prendre au sérieux.
 
Mais toute redéfinition en faveur du monde francophone de la politique française d’aide au développement, au nom des intérêts économiques et géopolitiques de la France, grande puissance engluée, anesthésiée, par les obligations liées à son appartenance à l’UE, ne pourra se faire qu’à travers une redéfinition en profondeur du fonctionnement de celle-ci. Voire, si nécessaire, une sortie pure et simple de la France de cet ensemble qui ne fait que l’épuiser financièrement et l’affaiblir, en l’éloignant du monde francophone, et donc en l’alignant sur les intérêts économiques de l’Allemagne et économico-géopolitiques des États-Unis (notamment à travers une politique hostile à la Russie et une anglicisation forcenée, à laquelle échappent, à leur plus grand bénéfice, la Chine, la Russie et bien d’autres puissances).
 
Cet éloignement vis-à-vis du monde francophone et ce repli de la France sur l’UE, ont notamment pour conséquence, in fine, une grande méconnaissance de ce vaste espace de la part de la population française, qui en ignore pratiquement tout. À titre d’exemple, la quasi-intégralité de la population française ne sait rien des Jeux de la Francophonie qui se sont tenus en 2017 à Abidjan (contraste frappant avec la couverture médiatique dont jouissent les Jeux du Commonwealth au Royaume-Uni), de la Basilique Notre-Dame de la Paix de Yamoussoukro en Côte d’Ivoire (qui n’est autre que le plus grand édifice chrétien au monde, quasi-réplique de la basilique Saint-Pierre de Rome), du concours musical « The Voice Afrique francophone » (qui fût dans sa saison 2016-2017, relayée par certains médias nationaux africains, le plus grand concours musical au monde en termes d’audience cumulée, avec son équivalent arabophone), ou encore du peuple acadien, que bon nombre de Français situent en Louisiane…
 
Or, cette large méconnaissance du monde francophone et de sa dimension mondiale, et outre le fait de faire perdre à nombre d’investisseurs et de représentants de la société civile de multiples opportunités d’échange et de partenariat mutuellement bénéfiques, a pour conséquence préjudiciable de réduire considérablement l’attachement des Français à leur langue. Eux, qui n’ont jamais été si peu intéressés par la promotion et la diffusion de celle-ci à travers le monde, alors même qu’elle n’a jamais été autant parlée et apprise. Et ce, au grand étonnement des francophones extra-européens, auxquels est aujourd’hui entièrement attribuable la progression constante de l’apprentissage du français hors espace francophone, face à une France qui est désormais clairement un frein, et même un obstacle, en la matière (et dont l’inconscience des graves conséquences économiques et géopolitiques de pareille attitude irresponsable dénote une certaine immaturité). Une ignorance française au sujet de l’espace francophone qui s’oppose d’ailleurs à la plus grande culture qu’ont les Britanniques de leur espace linguistique, et qui explique en bonne partie leur attachement viscéral à leur langue, à sa défense et à sa diffusion.
 
Au nom de leurs propres intérêts, les francophones situés en dehors du continent européen ne doivent donc pas suivre le mauvais exemple de la France en matière de promotion de la langue française, pour s’inspirer plutôt du modèle québécois (et britannique) et faire respecter leur langue commune au sein des différentes organisations régionales et internationales, politiques, économiques, culturelles et sportives, dont ils font partie ou avec lesquelles ils sont en étroite collaboration (et notamment au niveau de l’Union africaine et dans le cadre de leurs relations avec l’Union européenne, d’autant plus que l’Afrique francophone est la partie la plus dynamique économiquement, la moins endettée, la plus stable et la moins violente du continent).
 
À bien des niveaux, la France devrait donc s’inspirer du Royaume-Uni qui a toujours su faire preuve de pragmatisme, d’intelligence stratégique et de vision à long terme en privilégiant constamment son espace géolinguistique, dès les années 1 600 (quatre fois moins peuplée que la France d’alors, l’Angleterre, qui était pourtant très souvent engagée en Europe à travers de nombreuses guerres, investissait proportionnellement, et hors dépenses militaires, environ 30 fois plus que la France dans ses modestes territoires d’Amérique du Nord, très majoritairement française à l’époque…). Et ce, face à une France irrégulière, et qui a toujours fini par payer lourdement ses périodes d’irrationnelle obsession européiste.
 
Ilyes Zouari


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