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Pourquoi dit-on de Touba être un ‘’miracle posthume’’ du grand guide:


Rédigé le 15 Octobre 2019 à 17:29 | 0 commentaire(s) modifié le 16 Octobre 2019 - 21:39


(Equonet-Dakar) - Touba, la mégalopole du Baol arachidier est une ‘’cité impressionnante’’ de l’avis de bon nombre d’urbanistes. Le Dr Cheikh Gueye parlait de marabouts et de ruraux urbanisant, quoiqu’il en soit, aujourd’hui, dans l’armature urbaine sénégalaise, la cité de Touba revêt un statut et détient une stature particuliers, à plusieurs égards. Si cette particularité de l’urbain toubien provient avant tout de son ascension ou extension fulgurante, à tous les paramètres de considération et ou développement de l’urbanité, sur le seul territoire sénégalais ex territorial ; tout ceci s’accompagne, se couve d’une dose divine publicisée et socialisée sur tout l’étendu de l’espace toubien.


34 ans après l’appel insistant au peuplement de la capitale du mouridisme par le troisième Khalife Serigne A Ahad, Touba ferait 1500 000 habitants en 2019 et l’attractivité de la cité s’encombre naturellement de besoins, nécessités, exigences, revendications, au nombre desquels, l’équation de l’eau, la poursuite des lotissements, d’une politique sociale et équitable du foncier, une gestion progressiste et prévisionnelle de son dense réseau de marchés généralistes et spécialisés….

Une dose divine publicisée

Dans la cité de Touba, l’héritage religieux, la spiritualité est aujourd’hui encore au centre du quotidien et fondamental chez l’homo-toubien.  Au delà de sa profession, le sens du sacrifice, la quête de la baraka (ici rétribution du Cheikh Ahmadou Bamba à la suite de son approbation) sont cultivés dans la quotidienneté toubienne. Ainsi la rédemption par le labeur est notable dans tous les segments de la société  et entreprises de la vie à Touba. C’est ainsi que l’autorité maraboutique, le Ndigueul (injonction) issu de la voix tracée par le Cheikh ne souffre d’aucune contestation. Cette codification religieuse de la vie est à la fois le socle, le lien, et la législation de la vie toubienne.

Aucun paramètre n’est épargné par la ferveur religieuse mouride : l’espace, le social, le professionnel et même le temps. En effet, le fondateur à l’origine dans son hameau à travers ses écrits « Matlaboul Fawzaini » notamment rêvait d’une ville singulière ou du moins de la trempe des villes références islamiques : la Mecque, Médine…. Ce religieux rêveur comme on s’en doute pensait avant tout sa ville sous des contours religieux « Accorde moi à touba une science utile, élevée et de référence qui va avec la crainte de Dieu…Faites de ma cité éternellement une référence en matière de sciences religieuses, de réflexions, et de compréhension, une cité de correction …Seigneur exaucez et accomplissez mes intentions à Touba, où à cause de Vous des édifices sont édifiés pour Vous » (dans Matlaboul Fawzaini et  Wa lakhad karamna). Ainsi Touba est aujourd’hui un centre d’instruction et d’éducation religieuse remarquable à ses daaras, sa bibliothéque, ses mosquées, ses instituts Al hazar de Serigne mourtala, notamment.

Formatés dans la cité et la confrérie mourides, ils sont nombreux, à Touba ces disciples, qui comme l’indique le terme désignant la confrérie (le mouride, le nostalgique de Dieu) se veulent des exemples vivants du soufisme mouride. Cette instruction religieuse axée surtout sur le coran et les khassaides (écrits du Cheikh) est pour les toubiens une référence dans et en tout d’où à Touba le religieux plane sur tous les segments de la vie.       

Touba est le lieu de la réactualisation de la réponse sociale d’une communauté ayant vécu et connaissant de multiples soubresauts. Ainsi, l’intégration socioculturelle y est facilitée par une solidarité et un communautarisme confrérique conduit, notamment, par la majorité wolof déclarée ethnie de l’ouverture. Au-delà de ces fonctions religieuses attirantes, Touba connaît de nos jours un dynamisme économique insérant qu’on pourrait expliquer par cinq points, plus que spirituels mais concret: « condition matérielle de la puissance (Arendt, 1983) ».

-Dynamisme d’un centre urbain, principal polarisateur pour son arrière pays
       
  La mégalopole de Touba, tête de file incontestable de cette vague de villes religieuses émergentes du Sénégal offre une panoplie de commodités en termes d’infrastructures, de services, de débouchés… faisant son attractivité.

-L’objectif de toute ville étant avant tout d’abriter des populations, première richesse et  source de dynamisme, Touba  tire bien son épingle du jeu : comme l’indique le document portant sur la situation économique et sociale de la région, environ 60% de la population de Diourbel vit dans le département de Mbacké, et Touba renferme 47% de la population de la région.

Touba est passée avec notamment l’appel au peuplement répété de Serigne A Ahad (troisième Khalife) dans les années 1985 de 2.127 habitants en 1958 à 125.127 habitants en 1988, et  300.000 habitants en 1993. Aujourd’hui, Touba est la seconde ville du Sénégal «La population est d’environ 600.000habitants.» (Senagrosol, 2007) et en 2019, elle tourne autour de 1500 000 habitants. Ce rapide peuplement est notamment du fait d’attributions gratuites de parcelles d’habitat combiné à un paternalisme quant à l’insertion.  

-Le commerce, la douane n’opérant pas dans le territoire toubien et la réputation du baol baol en la matière aidant ; le commerce y est sans aucun doute l’activité principale. Et cela, sans compter avec la manne financière investie dans la zone par un nombre important de migrants par le biais de leurs familles établies sur place. Les denrées et autres produits du commerce sont plus accessibles à Touba que dans les zones de départ enclavées cela tant par leur prix que par la proximité des lieux commerçants. L’accès aux denrées de première nécessité est pour 61,2% des immigrants enquêtés par la senagrosol plus facile : « Le marché de Touba est particulièrement dynamique grâce aux réseaux commerciaux mourides, en fait une véritable zone franche. Tout peut y être trouvé, du matériel audiovisuel aux produits pharmaceutiques, très souvent à des prix défiants toutes concurrences et souvent mis en vente illégalement…La floraison de nouveaux marchés qui s’implantent dans les nouvelles zones d’habitation témoignant du dynamisme de l’activité commerciale chez les nouveaux arrivants; les marchés constituent aussi leur point de rencontre. » (Senagrosol, 2007). Touba se singularise aussi par son réseau de marchés spécialisés et généralistes qui se différencient par leur standing souvent dictés par le pouvoir d’achat des populations riveraines. Ces divers marchés ont pour noms : Ocass, Darou Marnane, Dianatoul Mahwa, Khayra, Oumoul Khoura, Mame Bineta, garage Darou, Guédé, Ndiénné, Mbaré, Gouye Mbind, Sékhéw gua, Serigne Daba Sarr, Fallou Niane (en construction), Ganaw rail, Serigne Modou Bousso, Keur Mame Thierno…   

-L’agriculture, les dignitaires mourides  avec à leur tête le khalife général s’investissent fortement dans l’agriculture à Touba où en dehors et les rendements se répercutent à Touba.

-Les services divers drainés par les trois secteurs cités plus haut font légion et constituent le terreau du secteur informel, lieu d’exercice de la plupart des immigrants ruraux : manœuvres, charretiers, mécaniciens, briquetiers …Dans une zone en chantier continu, nombre de destins sont miraculés !  

- Touba constitue aussi un carrefour dans la zone du fait de sa dotation infrastructurelle. En effet, elle-même considérée pour une CR, Touba est ceinturée par  d’autres CR dont le statut de CR sied plus. Cette dominance urbaine sur le voisinage fut encore plus perceptible quelques années en arrière. En dehors de ces CR (communes rurales), localisée dans une région en grande majorité constituée de disciples, il va de soi à Diourbel que Touba doit faire figure du wagon drainant la locomotive. Ainsi, Touba sans revêtir le statut de capitale régionale car l’administration implantée à Diourbel constitue «l’eldorado» du point de vue des infrastructures et de l’urbanisation. N’empêche là bas, la parcelle lotie était gratuite et son centre n’est pas administratif mais religieux comme pour signifier la suprématie divine : « Touba a un plan radio centrique, la mosquée et sa place en constituent le centre où la ville, la région et même le pays converge » (www.mouride.com).

Les canaux d’attribution d’une parcelle à Touba sont divers et les modalités simplifiées, accessibles aux migrants ruraux « Le désir d’avoir une parcelle et son obtention conditionnée par l’obligation de la mise en valeur (et donc un minimum de présence). Les facilités foncières doivent être comprises comme le principal instrument et l’argument de poids des appels au peuplement par les khalifes successifs » (Cheikh Guéye, 2002, p439).

L’eau, la denrée rare et motif de déplacements de population : exemple de Keur Awa est gratuite à Touba. Et malgré les pénuries en temps de magal, Touba a un réseau d’adduction d’eau envié dans la région. Selon l’enquête de la senagrosol, plus de 80% de l’échantillon (immigrants ruraux installés sur place) ont accès à une borne fontaine. Touba compte 29 forages et environ 125 forages fonctionnels fournissent l’eau à la région. Parmi ces forages 54,32 % localisés dans le département de Mbacké fournit 74,25% de la production régionale.

Au plan sanitaire, aux longues distances dans des villages enclavés pour accéder aux structures sanitaires, Touba offre une proximité et facilité d’accès aux services sanitaires. L’hôpital ultra moderne Matlaboul Fawzayni, avec environ 3 centres de santé, 16 postes santé. Des dispensaires, cabinets médicaux, et cliniques privés. L’accès au transport est  plus facile pour 92,6% des enquêtés de la Senagrosol. Ceci du fait que Touba jouit d’un réseau routier goudronné enviable allié à un système de transports accessible.

Contrairement à de  nombreuses CR dont Ndindy, une des zones de départ des migrants où l’électrification s’arrêtait au village siège de la CR, Touba offre un réseau électrique étendu et en constante expansion. Selon les enquêtés de Senagrosol, à partir de Touba 19% d’entre eux ont accès à l’électricité et 3% seulement l’avaient dans leurs villages d’origine. Signe de mieux être et de modernité, 30% de ces immigrants à Touba s’y éclairent avec du pétrole or au village  ce taux était de 90%. A notre passage à Oumoul Khoura dans la périphérie nord est de Touba, nous avons pu constater l’électrification de nombre de maisons récemment implantées. La sollicitude du Khalife et son esprit d’anticipation sont un soulagement multiforme : « Touba ne connaît pas d’installation irrégulière puisque toute les parcelles sont le fruit d’un lotissement» (C Guéye, 2002).

Quant à la demande en branchement téléphonique, elle est sans cesse en expansion ; ainsi pour 88,2 % des enquêtés de la senagrosol, l’accès aux moyens de communication a été plus facile à partir de Touba. Le récent déménagement des bandes FM de Diourbel vers Touba (Sud FM, Walf avec un émetteur…), montre cette importance dominatrice de Touba. Vu le fort taux d’émigration à Touba et les devises envoyées, sans compter avec les transactions commerciales locales, Touba constitue une place affectionnée par les établissements financiers  « le réseau bancaire régional, constitué par la CNCAS, la SGBS, la banque islamique de développement, Attijari, la CBAO est principalement orienté vers l’agglomération de Touba Mosquée. A Diourbel, on trouve la CNCS, la SGBS, la CBAO, alors que le département de Bambey n’abritait aucun établissement bancaire. » (Senagrosol, 2007, p18). Récemment la BHS, l’écobank…y sont venues : « Un autre indicateur important, c’est le fait que toutes les institutions bancaires, existant à Dakar ont ouvert des agences à Touba, un ilot de prospérité dans un océan de pauvreté » (Soleil, 2009).

Aussi, quasiment toutes les institutions de micro finance présentes dans la capitale régionale y ont des antennes. Au moment où le tourisme culturel est prôné par le Sénégal, nombreux sont les sites et dates cités dans son riche patrimoine culturel, constituant une attraction religieuse et touristique : « ….culturale et cultuelle, attrait présent et passé » (Soleil, 2009), mais une fierté des résidants immigrants y compris : la grande mosquée de Touba, Mausolée de Cheikh Ahmadou Bamba, la grande bibliothèque de Touba d’une capacité de 200 000 ouvrages….

      Cette dotation multiforme et croissante de Touba en infrastructures d’intérêt collectif est avant tout du au sens élevé du développement local mouride à l’égard de la cité qui équivaut à travailler pour le Cheikh fondateur. Les lotissements, les travaux, la construction d’infrastructures de base sont généralement effectués par le Khalife général des mourides, qui est appuyé en cela par les organisations mourides. Toutefois, la contribution étatique avec le poids électoral du Khalife et de la cité est notable.

En guise de conclusion : Touba, la deuxième ville du pays est aujourd’hui encore singulière par son développement fulgurant dopé récemment par l’autoroute Dakar-Touba, une nouvelle géographie en perspective. Cependant, cette ruée vers la cité fait percevoir des signes d’essoufflement de l’anticipation ; une bidonvilisation commençante et croissante, est à allier à l’absence d’espaces verts, relevée comme suit dans un rapport de développent local sénégalais : « Les zones non loties sont identifiables à la périphérie de la capitale des mourides. Cette ville émergente qui fait la fierté des mourides, n’est pas une cité sans bidonville, comme on a voulu le faire croire. En terme d’espaces verts, elle présente même le profil de la ville sans poumon où la massivité du bâti l’emporte sur toute autre considération esthétique». Touba connait aussi une crainte de désacralisation, perte de vue de l’objectif premier d’une cité religieuse, le spirituel au profit du temporel, de l’esthétique. Aussi, des experts sanitaires indexent l’eau comme de mauvaise qualité, source de maladies infectieuses (voir Kane, 2011 « les interpellations de l’eau dans la cité de Touba»). Nonobstant ces griefs à mitiger, le dynamisme toubien n’est il pas à rechercher pour un développement local global ?

P B Moussa Kane, Doctorant en développement-aménagement, UGB
Moussa Kane/UGB/Saint-Louis




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