sabine mensah, dga africanenda : « il est nécessaire que l’accès aux services financiers en afrique soit pris en compte dans la formulation des politiques réglementaires »


Rédigé le 31 Octobre 2023 à 16:44 commentaire(s) modifié le 2 Novembre 2023 13:26

Ndakhté M. GAYE est un journaliste d'investigation engagé dans le suivi citoyen des obligations… En savoir plus sur cet auteur

(Equonet-Dakar) – L’accès aux services financiers demeure un défi qu’il faudra prendre en compte dans la formulation des politiques réglementaires pour accélérer la marche vers l’accès universel aux services financiers en Afrique. C’est la conviction de Sabine Mensah, directeur général adjoint (DGA) d’Africanenda où elle est en charge des efforts de plaidoyer, de renforcement des capacités et des partenariats. Dotée d’une une solide expérience de dirigeante dans le secteur des paiements numériques, du mobile money et de l’inclusion financière au sein d’organisations internationales et du secteur privé, Sabine plaide pour la formation et l’harmonisation des législations qui constituent autres défis qu’il faudra tenir compte.
Dans un entretien accordé à equonet, elle explique comment les systèmes de paiement instantanés et inclusifs peuvent résoudre ce problème d'accès aux services financiers de manière inclusive, donne des pistes pour lever les obstacles


(Equonet-Dakar) - De nos jours, de nombreux adultes sont financièrement exclus des services financiers. Quels commentaires pouvez-vous en faire ?
Sabine Mensah : C’est bien dommage ! C’est un défi auquel nous sommes confrontés en Afrique. Nous estimons aujourd’hui que plus de 400 millions d’adultes africains n’ont toujours pas accès aux services financiers sur le continent. Si nous voulons promouvoir des économies numériques qui soient inclusives, il est nécessaire que ce défi soit pris en compte dans la formulation des politiques réglementaires dans l’offre de services financiers et dans le travail qui est fait par tous les acteurs du développement, ainsi que les institutions financières et régulateurs pour accélérer notre parcours vers l’accès universel aux services financiers en Afrique.
Pensez-vous que les systèmes de paiement instantanés et inclusifs peuvent résoudre ce problème d'accès aux services financiers de manière inclusive. Si oui, comment ?
Commençons par nous accorder sur ce qu’est l’inclusion financière. L’accès aux services financiers signifie avoir un accès à un compte quel qu’il soit. Mais, il n’est pas que ça : l’utilisation accrue des services et la qualité des services sont tout aussi importante. Prenons l’exemple de ma grand-mère au village, quand elle a de l’argent en main. Avant, elle le mettait sous son matelas ou dans une caisse. Ça, c’est l’économie du cash dans laquelle des millions et des millions de personnes vivent en Afrique. Ma grand-mère a aujourd’hui accès à des services financiers, elle a un compte mobile sur lequel elle peut épargner son argent et le faire fructifier grâce aux opportunités que lui offrent les services financiers ou bancaires avec des intérêts sur son épargne. Elle peut aussi utiliser son compte pour envoyer ou recevoir de l’argent et payer des services en l’espace de quelques minutes.  Elle peut donc effectuer des transactions sécurisées sans se déplacer avec son cash. Un autre avantage de son compte est qu’elle dispose d’un historique de ses transactions, qui permettra aux institutions financières de pouvoir lui faciliter l’accès au crédit et lui permettre d’investissement dans des activités génératrices de revenus.

Maintenant, s’agissant des systèmes de paiement instantanés – avant de parler de système inclusifs – leur histoire a commencé au Kenya où le service de porte-monnaie mobile, M-Pesa, a été lancé en 2007. M-Pesa a démontré qu’avec un téléphone le plus basique, on pouvait instaurer un système de compte mobile pour la réception et l’envoi d’argent, le paiement de biens et services, ou l’épargne. Ce porte-monnaie mobile a été rendu possible par les rails numériques, notamment les systèmes paiements instantanés (SPI) qui ont permis d’effectuer des transactions en tout lieu à tout moment. C’est instantané, disponible 24H/24.
Quels sont les obstacles à lever pour y arriver ?
Pour nous, AfricaNenda, il est essentiel que les SPI soient inclusifs. C’est pour cela que nous parlons de système de paiements instantanés et inclusifs (SPII). L’inclusivité est définie par plusieurs facteurs. Lorsque nous parlons d’inclusivité, nous considérons qu’un système de paiement doit être accessible à tous, quel que soit l’outil utilisé (téléphone basique, smartphone, ou ordinateur) et que toutes les personnes qui l’utilisent sur le continent doivent pouvoir bénéficier de ses services. Ce système doit aussi faciliter l’interopérabilité entre les différents fournisseurs de services. Au Sénégal par exemple, vous avez Orange Money, Free, et Wave. Quand l’interopérabilité est effective, ma grand-mère n’a besoin d’être abonnée qu’a un seul de ces fournisseurs pour effectuer des transactions vers les autres. L’interopérabilité est un atout particulièrement pour les populations vulnérables qui ne disposent pas de revenus importants pour les distribuer sur plusieurs comptes mobiles chez différents fournisseurs. Si concurrence il y a, cela devrait se faire sur les produits et services offerts par les fournisseurs aux clients et non sur la carte SIM ou le seul fournisseur auquel son compte est affilié. 

L’inclusivité d’un système est également liée aux aspects réglementaires où les banques centrales sont généralement au centre des systèmes de paiements nationaux ou sous régionaux. La banque centrale doit amener une gouvernance inclusive dans l’écosystème et permettre à tous les fournisseurs de services financiers, bancaires ou non bancaires, d’avoir accès à ces systèmes et de favoriser l’interopérabilité. C’est ce pourquoi nous, à AfricaNenda, travaillons. Nous sommes une équipe d’experts financiers numériques et de techniciens sur le continent avec l’expertise de développement d’économie numérique inclusive à la disposition des Etats, des banques centrales, des associations du secteur privé ; pour avancer sur un agenda d’inclusivité augmentant l’accès aux services financiers pour les plus de 400 millions d’Africains adultes, hors des systèmes financiers formels.
Quelle est la position de votre organisation dans le développement de l’écosystème des systèmes de paiements instantanés SPI en Afrique et particulièrement au Sénégal et comment comptez-vous vous imposer dans ce créneau déjà bien occupé par des institutions ? Quelle est la particularité de votre organisation ?
AfricaNenda n’offre pas de services financiers, ou de technologie. Nous ne faisons pas de transferts d’argent ou autres du genre. Nous sommes un acteur facilitateur d’économie numérique inclusive. C’est une équipe de 18 personnes basées dans dix pays en Afrique. Nous apportons une assistance technique aux acteurs nationaux et régionaux et les aidons à accélérer l’impact qu’ils veulent avoir, notamment quand c’est motivé par l’intention d’être inclusif et de faciliter l’accès universel aux services financiers. Nous sommes également dans le renforcement de capacité, car le parcours numérique n’est pas à faire seul. Notre rôle est de faciliter le partage de connaissance à travers des publications, des formations / échanges spécifiques sur les questions d’inclusivité des systèmes de paiement numériques, et la mise à disposition d’experts pour les banques centrales et les agences gouvernementales. Nous faisons également un plaidoyer pour le secteur privé afin de faire connaitre les difficultés – règlementaires ou autres – que rencontrent les fournisseurs de services (fintech, microfinance, banques…) pour accélérer leur développement sur le marché.

 Nous sommes le porte-parole des populations vulnérables et du privé vis-à-vis des régulateurs pour faire remonter les barrières qui empêchent l’inclusion financière de plus de 400 millions d’Africains. Nous établissons des plateformes de dialogue entre le public et le privé afin d’accélérer les réformes grâce auxquelles les SPII seront la norme en Afrique. Le nombre d’Africain financièrement exclut demeure astronomique, alors que nous ne sommes plus qu’à sept années de la date fixée pour atteindre les Objectif de Développement Durable de 2030. Avec la forte croissance démographique sur le continent, le nombre d’exclus financièrement pourrait s’accroitre encore plus. Il y a donc urgence en la matière. Le digital et les services financiers numériques peuvent être le tremplin contribuant à l’accélération des innovations numériques et la réalisation d’économies numériques inclusives qui ne laissent personne de côté en Afrique.
La formation et le développement des projets sont importants. Quelles sont les actions que vous menez dans ce sens ?
Nous avons commencé en 2021 et à notre arrivée dans l’écosystème nous nous sommes dit qu’il était important de se faire connaître par les acteurs pour qu’ils voient la complémentarité, les synergies, et le soutien que nous pouvons apporter à leur agenda. Notre agenda est un agenda au niveau national, et au niveau régional. Ce n’est pas un agenda pour un opérateur privé en particulier, mais plutôt pour le secteur, l’association des opérateurs sur l’écosystème numériques, les populations vulnérables et les banques centrales. Nous nous sommes fait connaître et nous avons eu l’opportunité de commencer à travailler avec ceux qui nous ouvert leurs portes en premier. Nous avons actuellement des projets en cours au Rwanda avec le ministère des TIC et de l’innovation, et en République de Guinée avec la primature. Nous avons des collaborations au niveau régional, avec la BCEAO sur le projet régional d’interopérabilité couvrant le Sénégal et les sept autres pays de l’UEMOA, et en Afrique centrale avec le GIMAC, entres autres.
L’harmonisation de la régulation pose problème. Ne pensez-vous pas qu'il s'avère important de convaincre les autorités de tant de pays différents à faire converger leur législation ?
En effet, les règlementations sont différentes dans chaque pays, particulièrement en matière de licence pour l’offre de services financiers par types d’acteurs, bancaires et non bancaires, en matière de conformité et d’interopérabilité, pour ne citer que ceux-là. Nous avons également des nouveaux acteurs dans l’écosystème convergent de la finance et des technologies, fintechs, avec des modèles novateurs complexes à évaluer dans les règles prudentielles traditionnelles. Si nous voulons effectivement tirer parti de la Zone de ibre-échange continentale africaine (ZLECAf) pour une concurrence accrue en faveur des paiements numériques transfrontaliers interopérables pour soutenir le commerce intra-Africain, la nécessité d’harmonisation et de convergence des législations et des réglementations autour des services financiers numériques va sans dire. Des initiatives sont déjà en cours dans ce sens sur le continent et je vous encourage à lire le prochain rapport SIIPS 2023 d’AfricaNenda dans lequel nous avons toute une section dédiée au politiques règlementaires sur les paiements numériques transfrontaliers.
Le 8 novembre 2023 aura lieu le lancement annuel de votre rapport SIIPS. Quelles sont les retombées que vous attendez ?
Cet évènement est centré sur un rapport annuel, qui s’appelle SIIPS, sur les systèmes de paiement instantanés inclusifs, que nous mettons à disposition du public. Cette initiative a débuté depuis l’an dernier. Au lancement de notre structure en 2021, nous avons été confrontés à la rareté d’informations agrégées sur le système de paiement numériques sur le continent. Il était donc nécessaire de faire un état des lieux précis pour mieux évaluer les interventions à mettre en place dans les différents pays avec les acteurs, et mesurer leur impact sur la durée. Nous avons lancé notre rapport SIIPS, une première en son genre, en octobre 2022 au Rwanda. Cette année, nous lançons la seconde édition, SIIPS 2023, à Addis Abeba en Ethiopie. Notre ambition est de recueillir des données consolidées que nous pouvons analyser afin d’identifier les gaps à combler dans les SPI sur le continent, pour contribuer à l’universalité des services financiers pour tous les Africains d’ici à 2030. 
L’autre attente est que l’information du rapport permette aux régulateurs, aux décideurs publiques, au secteur privé, de mieux comprendre les besoins du client et s’assurer de l’adéquation entre l’offre de service et la demande, particulièrement sur la nécessité que l’aspect « besoin d’inclusivité » d’un SPI soit pris en compte pour que nous arrivions à des économies numériques vraiment inclusives. Les médias ont un rôle clé à jouer pour s’assurer que la bonne information est partagée avec l’écosystème, et pour relayer le plaidoyer avec les régulateurs, agences gouvernementales et les opérateurs de SPI sur l’importance de partager les données sur la performance des SPI en Afrique.


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