Connectez-vous S'inscrire
https://www.equonet.net/
ecofinance.sn
Facebook
Twitter
Média de veille et d'alerte sur les questions de gouvernance, de transparence et de redevabilité des ressources extractives au Sénégal et en Afrique.
Veiller sur l'application des obligations du secteur extractif sénégalais.



registre des bénéficiaires effectifs au sénégal : application timide d’un dispositif visant à garantir la transparence dans la gouvernance du secteur extractif


Rédigé le 12 Septembre 2022 à 14:50 | 0 commentaire(s) modifié le 14 Septembre 2022 - 19:28

Massamba Ndakhté Gaye
Ndakhté M. GAYE est un journaliste d'investigation engagé dans le suivi citoyen des obligations... En savoir plus sur cet auteur

(Equonet-Dakar) – Une enquête visant à faire la lumière sur les bénéficiaires effectifs des sociétés exploitant les ressources extractives sénégalaises décèle des limites qui montrent des lenteurs dans la mise en œuvre optimale du dispositif.


Certes, l’Etat du Sénégal s’est conformé à l’exigence 2.5 de la Norme de l’Initiative pour la transparence dans les industries extractives (ITIE). Celle-ci fait obligation à chaque Etat de mettre en place, à partir du 1ier janvier 2020, « un registre public des bénéficiaires effectifs (RBE) des entreprises qui font une demande de licence ou de contrat pétrolier, gazier ou minier, de production ou d’exploration, ou y détiennent une participation directe et cela devrait inclure l’identité de leurs bénéficiaires effectifs, leur degré de participation, et les modalités d’exercice de cette participation ou du contrôle desdites entreprises ».

Mieux, il va plus loin en renforçant le cadre juridique en plus des Codes pétrolier, gazier, minier et des impôts qui spécifient l’obligation de la déclaration des bénéficiaires. Mais il ne suffit pas de respecter cette exigence normative et de mettre un cadre juridique. L’idéal serait de veiller à l’application effective de ces textes juridiques. Ce qui n’est pas encore le cas.

En tant que média de veille et d’alerte, nous avons mené une petite enquête le 20 mai 2022 à l’issue de laquelle il a été constaté de nombreuses failles liées à l’inapplication rigoureuse du dispositif relatif au RBE. En effet, il ressort de notre enquête menée auprès du greffe responsable du RCCM, Maître Marie Rose Touré Kane, que « les déclarations sont très timides ».

Il ressort de nos échanges avec elle que, de juin 2021 (date du début des enregistrements), à nos jours, « nous n’avons qu’une quarantaine de sociétés qui se sont soumises à cette obligation de divulgation ». A la date du 08 septembre 2022, le greffe déclare avoir reçu plusieurs déclarations augmentant de façon substantielle le nombre d’assujettis. Toutefois, il n’a pas précisé ce nombre. Soulignons aussi que le volume total de toutes les entreprises intervenant dans la chaîne de valeur du secteur extractif n’a pas été précisé ce qui, aurait permis de mieux apprécier le ratio.

Mme Kane a tout de même justifié cette timidité en mettant en avant l’ignorance de cette disposition due à un manque de communication et de sensibilisation des entreprises du secteur extractif. Une explication difficilement acceptable (de la part des entreprises) si l’on prend en compte le principe selon lequel « nul n’est censé ignoré la loi ». A cet égard, elle souligne que la déclaration des bénéficiaires effectifs est une innovation dont l’application est récente.

Et qu’en est-il de la fiabilité de ces déclarations ? A cette interrogation, la responsable RCCM apporte une réponse affirmative basée sur la bonne foi des personnes déclarantes tout en n’étant pas catégorique à cent pour cent de cette fiabilité. Elle fonde sa thèse sur des actes notariés, en principe authentique jusqu’à preuve du contraire, et sur des actes d’état civil tout en restant convaincue qu’avec ces pièces justificatives, « il n’y a pas trop de moyens de procéder à une fausse déclaration ». Mais est-ce suffisant pour accepter les déclarations ?
Interrogée sur la tenue du RBE par voie électronique, Mme Kane affirme que le portail n’est pas encore fonctionnel pour défaut de moyens financiers. Elle estime que c’est un lourd projet qui demande beaucoup de fonds. Sur ce point, en poussant la réflexion sur les raisons de la petitesse du nombre des entités déclarantes, l’on peut se demander si celle-ci n’est pas due au non fonctionnement du portail prévu pour faciliter les déclarations à distance.

A cet effet, l’on peut alors constater un défaut de satisfaire l’obligation de déclaration de BE par les entreprises assujetties qui disposaient d’un délai de six mois à compter de la date d’entrée en vigueur décret, le 19 mars 2020. Si le greffe en charge du RCCM n’a commencé à recevoir les déclarations qu’à partir de juin 2021 et en dépit de la date d’entrée en vigueur de cette disposition, les entités assujetties à la déclaration disposaient du temps raisonnable pour s’acquitter de leur obligation dans le délai de six mois qui leur avait été accordé (normalement décembre 2021). Ici, il faut souligner que les ministres en charge des Mines et du Pétrole ont émis des circulaires pour rappeler aux entreprises assujetties l’obligation de déclaration.

Ce défaut de satisfaire l’obligation de déclaration de BE est passible de sanctions administratives et pénales prévues en la matière. Mais là, la disposition n’a pas été appliqué.
En effet selon Mme Kane, aucune sanction n’a été appliquée à ce jour pour non-respect de cette obligation de déclaration. Elle trouve assez problématique de sanctionner quelqu’un qui ignore cette disposition. Mais aux dernières nouvelles, elle affirme que les fausses déclarations sont sanctionnées sans préciser la nature de ces sanctions.

En plus, se réfugiant derrière la réglementation (articles 12 et 13 du décret), Mme Kane s’est abstenue de révéler le nom de cette quarantaine de sociétés qui se sont conformées au décret relatif au RBE et à donner leur nombre exact. Elle s’est simplement limitée à dire « qu’elles sont les plus grosses sociétés ». Ce qui est très insuffisant et aussi un signe d’absence de transparence pour quelqu’un qui a besoin de plus informations sur cette question. A cet égard, elle avoue qu’elle ne peut pas les donner sans l’aval du juge chargé du contrôle dudit registre.

Du coup, ce silence pose un problème d’accès du public non administratif à l’information sur le RBE. L’accès à celui-ci est limité principalement aux seules autorités administratives énumérées dans l’article 13 du décret. Ce texte précise que « toute autre autorité administrative qui ne figure pas sur cette liste est habilitée à faire la demande d’accès auprès du juge commis à la surveillance du RBE en justifiant un intérêt légitime ». Il est également prévu un droit de recours en cas de refus de la part du juge.

Ce point pose également un problème de transparence que l’on peut considérer aussi comme une limite du dispositif relatif au RBE dont les enjeux sont énormes.

Les enjeux de la divulgation du bénéficiaire effectif

Si la disposition relative au RBE contraint les entités déclarantes à fournir toutes ces informations suivant la procédure édictée, c’est parce que les enjeux de la divulgation systématique des bénéficiaires effectifs des sociétés sont énormes.

Pour l’ITIE, c’est d’abord un enjeu de sécurité nationale pour les pouvoirs publics. En effet, connaitre l’identité réelle des bénéficiaires effectifs permet à ces derniers de garantir la propriété des ressources naturelles eu peuple sénégalais, de réduire les possibilités de perte de revenus pour l’Etat, de mobiliser davantage les recettes pour financer le développement, de contrôler et d’engager la responsabilité de ceux qui se cachent derrière les entreprises.

Ensuite, l’identification des bénéficiaires effectifs est un enjeu de transparence et de redevabilité pour la société civile car elle offre un moyen de reddition des comptes et des possibilités d’engager la responsabilité des titulaires de droits miniers, pétroliers et gaziers en cas de manquements à leurs obligations.

Enfin pour les entreprises extractives, la divulgation des bénéficiaires effectifs permet d’asseoir une concurrence saine par la connaissance de l’identité de tous les partenaires commerciaux.

Donc, rien que pour ces enjeux, l’obligation de mettre en place un RBE pour répertorier les véritables propriétaires des sociétés du secteur extractif montre toute son importance.

Recommandations

Pour rendre effectif cette obligation de divulgation des propriétaires réels, les recommandations suivantes méritent d’être considérées :
  • Faire preuve d’une plus grande rigueur dans l’application effective de la disposition relative au RBE en invitant les sociétés concernées à se soumettre sans délai à cette obligation de déclaration sous peine de sanctions ;
  • Doter de moyens financiers conséquents à la greffe charge du RBE pour mettre en place la plateforme électronique, la rendre fonctionnelle, accessible et qu’elle soit mise en exploitation par les destinataires ;  
  • Mener une campagne de communication, de sensibilisation et d’explication sur l’existence de la disposition relative au RBE et sur les enjeux de la déclaration des bénéficiaires effectifs ;
  • Inviter la greffe à vérifier les données collectées pour s’assurer de leur fiabilité et localiser le déclarant ;
  • Faciliter l’accès au RBE et l’élargir à la société civile et aux médias afin de leur permettre de bien suivre l’évolution, la régularité et la fiabilité des déclarations en vue d’informer le public et de tirer la sonnette d’alarme au besoin ;
  • Publier un rapport annuel sur le RBE si nécessaire, c’est-à-dire si celles-ci n’affectent pas la vie privée ;
Ce sont là quelques points constitutifs d’un gage de transparence et de bonne gouvernance de la chaîne de valeur des ressources extractives du pays. Lesquelles appartiennent au peuple sénégalais ainsi que le garantit la Constitution sénégalaise. 
 



Actualité | EcoFinance | Finance | Technologie | Contenu local | Environnement | Contribution | Donneurs | Conseil des Ministres | Nominations | Mines-Hydrocarbures | Energies