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secteur extractif sénégalais : qui sont les bénéficiaires effectifs de woodside, massawa, sabodala, bp, total… ?


Rédigé le 4 Juin 2024 à 09:35 | 0 commentaire(s) modifié le 5 Juin 2024 - 13:21

Massamba Ndakhté Gaye
Ndakhté M. GAYE est un journaliste d'investigation engagé dans le suivi citoyen des obligations... En savoir plus sur cet auteur

(Equonet Energies-Dakar) – De très nombreuses compagnies pétrolière, gazière et minière cachent des données obligatoires d'identification des bénéficiaires effectifs en toute impunité.


Equonet Energies  (EqE) perce le mystère. Après deux tentatives infructueuses d’accéder au Registre public des bénéficiaires effectifs (RBE) dont l’accès est verrouillé pour le public, ce média d’investigation est parvenu à trouver au moins un extrait de ce document après plus de 25 semaines de recherche.

La revue en profondeur de cet extrait nous a permis de comprendre maintenant pourquoi l’accès au RBE est limité aux seuls agents de l’administration publique. S’il en est ainsi, c’est parce qu’il s’y trouve de nombreuses données obligatoires d’identification des bénéficiaires effectifs (BE) soustraites au regard du public et de l’opacité dans certaines déclarations, notamment sur les nationalités.

En effet, la revue de l’extrait du RBE à la date du 08-12-2023 fait constater l’existence de nombreuses informations obligatoires tenues secrètes. Il en est ainsi des données sur le degré de participation, la date d’acquisition de la propriété, le pays de résidence, les prénoms et noms complets, le numéro d’identification nationale et les adresses du domicile et résidence des bénéficiaires effectifs qui constituent autant d’éléments d’information non renseignées dans cet extrait.

Et c’est l’absence d’information sur le niveau de participation du propriétaire légal et effectif de l’entreprise déclarante qui est l’obligation la plus apparente au parcours du RBE.

En effet, plus d’une centaine d’entreprises sur deux cent quatre-vingt-quatre (284) détenteurs de titres minier et pétrolier, toutes nationalités confondues, ont soustrait à la vue du public les données sur le degré de participation de leur (s) propriétaire (s) effectif (s).

A titre illustratif, l’on peut citer les cas de quelques compagnies du secteur extractif sénégalais comme Woodside Energy Sénégal BV. Cette entreprise a été déclarée le 30/06/2022 et enregistrée sous le N° Rccm : SN.DKR.2014.E.4113.

Andreas Philip Demetriou née le 29/01/1970, Louise Hornby née le 19/06/1983, Shaun Martin Gregory née le 23/11/1970 et Jennifer Alice Elisabeth Huvers DE Vries née le 27/07/1971 sont les personnes identifiées comme étant les propriétaires réels.

Ceux-ci ont des nationalités différentes. Les deux premiers sont du Royaume-Uni, le troisième est de l’Australie et le quatrième des Pays-Bas. Mais aucune information sur leur niveau de participation n’a été mentionnée sur l’extrait RBE.

Ce cas est identique à celui de l’entreprise Massawa. Celle-ci a été déclarée le 27/01/2023 et enregistrée sous le N° Rccm : SN.DKR.2019.B.30394. Yousriya Nassif Loza née le 01/03/1936 et David Jacques Mimran né le 04/03/1967, respectivement de nationalité égyptienne et Suissesse, sont identifiés comme étant les propriétaires réels. Mais là également aucune information sur leur niveau de participation n’a été mentionnée sur l’extrait RBE.

C’est le même cas de l’entreprise Sabodala Mining Company Sarl. Cette entreprises a été déclarée le 27/01/2023 et enregistrée sous le N° Rccm : SN.DKR.2007.B.1595. David Jacques Mimran né le 04/03/1967 et Yousriya Nassif Loza née le 01/03/1936, respectivement de nationalité française et égyptienne sont identifiés comme étant les propriétaires réels. Mais là également aucune information sur le niveau de participation n’a été mentionnée sur l’extrait RBE.

Sur ce point, l’on peut remarquer l’existence de deux nationalités différentes de David Jacques Mimran née le 04/03/1967 de nationalité Suissesse et David Jacques Mimran née le 04/03/1967 de nationalité française. La question qui mérite d’être posée est de savoir pourquoi cette double nationalité. Est-ce une volonté d’échapper à la fiscalité en se réfugiant dans des paradis fiscaux ?

En tout cas, cette double nationalité pose un problème de transparence qui mérite une explication et une clarification. 

Restons sur ce point pour signaler que ces deux Sieurs Loza (Egypte) et Mimran (France) ont été également déclarés comme étant les propriétaires réels de l’entreprise Sabodala Gold Operations. Celle-ci a été déclarée le 26/01/2022 et enregistrée sous le N° Rccm : SN.DKR.2008.B.1711. Mais aucune information sur leur niveau de participation n’a été mentionné.

Ce niveau de participation toujours caché est aussi observable chez Bp Sénégal Investments Limited. Déclarée le 20/10/2021 et enregistrée sous le numéro Rccm : SN.DKR.2017.E.16337, l’entreprise est identifiée au nom de Pape Massaer Ben Saloum Cissé née le 21/02/1978, son propriétaire réel.

Si on prend un autre cas d’entreprise étrangère qui exploite les ressources extractives sénégalaises, l’on peut citer TotalEnergies EP Sénégal. Cette entreprise a été déclarée le 09/10/2023 par Mohamed Khaled Kouki née le 16/12/1976, de nationalité française, et enregistrée sous le N°Rccm : SN.DKR.2017.E.21732. Mohamed Khaled Kouki est identifié comme propriétaire réel de l’entreprises, mais son degré participation n’est pas mentionné.

Il en est de même chez Kosmos Energy Investments Sénégal dont le degré de participation est également caché. Déclarée le 16/06/2023 et enregistrée sous le N°Rccm : SN.DKR.2018.E.191, cette entreprise répond au nom de Khady Dior Ndiaye née le 18/06/1974, de nationalité sénégalaise.

Il en est également de même pour European Rail Road Established Services, entreprise déclarée le 20/11/2023, sous le N° Rccm : SN.DKR.1992.B.203 par Guillaume Nicolas Raymond Martin née le 09/05/1969 et Frederic Emile Boyer née le 15/02/1976, tous deux de nationalité française. Ces deux personnes sont identifiées comme étant les propriétaires réels de cette entreprise. Mais leur degré de participation n’est pas renseigné dans cet extrait RBE.  

De cette situation d’anonymat, il serait difficile d’identifier de manière complète le bénéficiaire effectif ou de savoir qui, de toutes ces personnes physiques citées ci haut, contracte avec l’Etat sénégalais, détient directement ou indirectement au moins deux pour cent du capital des droits de vote et exerce un pouvoir de contrôle sur les organes de gestion, d’administration ou de direction de la société déclarante, ainsi que l’exige l’Article 11 du décret N° 2020-791 du 19 mars 2020 ci-dessous.  

Ce qui n’aide pas à lutter contre la criminalité financière, la corruption et ne contribue pas à la transparence et à la responsabilité dans les transactions commerciales et les investissements.

De quoi alors susciter des interrogations. Que cache ce défaut d’identification du bénéficiaire effectif ? Cet anonymat dissimule-t-il une participation au financement du terrorisme, au blanchiment d'argent, une évasion fiscale, une corruption, une fraude, ainsi que d'autres activités financières criminelles ?

Autant de questionnements pouvant laisser planer des doutes sur l’implication des entreprises défaillantes dans des crimes économiques et financiers organisés.

C’est justement pour lutter contre ces fléaux que l’Etat a mis en place le décret N° 2020-791 du 19 mars 2020 relatif à la divulgation des données sur le Registre des Bénéficiaires Effectifs (RBE). A travers ce dispositif, le Sénégal a voulu jouer la carte de la transparence et réaffirmer ses engagements régionaux et internationaux dans le domaine de la lutte contre le blanchiment d’argent, le financement du terrorisme et la corruption auxquels il s’est souscrit.

C’est d’ailleurs cette volonté affichée de lutter contre ces crimes économiques et financiers qui l’a conduit à adhérer à l’Initiative pour la transparence dans les industries extractives (ITIE).

De l’irrespect des Lois et des Principes de gouvernance et de transparence

Cette situation d’anonymat révèle un non-respect des lois et des principes de gouvernance et de transparence. De ce fait, elle constitue une violation des dispositions de l’Exigence 2.5 de la Norme ITIE, du décret N° 2020-791 du 19 mars 2020 relatif à la divulgation des données sur le Registre des Bénéficiaires Effectifs (RBE), de la Loi 2018-03 issue de la Directive 02/2015 de l'UEMOA relative à la lutte contre le blanchiment d’argent et au financement du terrorisme que le Sénégal avait transposé dans son droit national et de celle de la Loi de finances de juillet 2021.

En effet, l’exigence 2.5 découlant de la Norme ITIE oblige la mise en place par chaque Etat, à partir du 1ier janvier 2020, « d’un RBE des entreprises qui font une demande de licence ou de contrat pétrolier, gazier ou minier, de production ou d’exploration, ou y détiennent une participation directe et l’information devra inclure l’identité de leurs bénéficiaires effectifs (BE), leur degré de participation et les modalités d’exercice de cette participation ou du contrôle des dites entreprises ».

Au plan national, cette obligation de divulgation des informations sur le BE est régie par l’Article 4 dudit décret qui exige de mentionner dans le formulaire de déclaration des BE l’identité de l’entité immatriculée ou déclarée, les prénoms et noms completsnationalité (s)pays de résidencenuméro (s) d’identification nationaledate de naissanceadresses du domicile et résidence des bénéficiaires effectifs et la date d’acquisition de la propriété effective.

Elle incombe aux entités assujetties à la déclaration des BE visées par l’Article 2 du même décret. Il s’agit des sociétés, entreprises individuelles, GIE, entreprenants et autres entités immatriculées ou déclarées au Sénégal intervenant dans la chaîne de valeur du secteur extractif.

Elle concerne également les intervenants de la chaine de valeur du secteur extractif exerçant leurs activités au Sénégal même s’ils ne sont ni immatriculés, ni déclarés, dans le Registre du commerce et de crédit mobilier (RCCM).

A la date du 08 décembre 2023, la dernière situation des déclarations de BE (Registre des bénéficiaires effectifs) examinée par le secrétariat technique ITIE Sénégal montre qu’à cette date, 212 entreprises ont procédé à la déclaration de leurs bénéficiaires effectifs.

Au 31 Décembre 2021, sur les deux cent quatre-vingt-quatre (284) détenteurs de titres dans les secteurs minier et pétrolier, quarante-huit (48) ont déposé leurs déclarations de bénéficiaires effectifs auprès des greffiers compétents.

Au titre des Principes, cette situation d’anonymat est aussi en contradiction au troisième Principe d’Open Ownership selon lequel « les déclarations de propriété effective doivent recueillir suffisamment de détails pour permettre aux utilisateurs de comprendre et d’utiliser les données ».

Ce principe recommande que « les informations collectées sur les bénéficiaires effectifs soient suffisantes pour identifier de manière unique chaque bénéficiaire effectif, la société déclarante ainsi que la nature et l'étendue de sa propriété ou de son contrôle sur cette société. Cela devrait inclure le pourcentage exact de propriété ou de contrôle et des détails sur les niveaux intermédiaires de propriété ou de contrôle, le cas échéant ».

En outre, en plus d’être insuffisantes, les données du RBE souffrent aussi de l’absence de vérification ainsi que le souligne le septième Principe d’Open Ownership. Dans son évaluation de ce Principe, cette Organisation mondiale note que « aucun des registres publics de propriété effective (BO) actuellement en activité ne dispose d’un processus de vérification pleinement efficace. »

« Le Sénégal est également confronté au défi de mettre en place un processus de vérification robuste. Le système de reporting BO existant pour les entreprises du secteur extractif ne comporte que des niveaux de vérification limités. Les sociétés déclarantes sont tenues de fournir des preuves documentaires de l’identité de leurs bénéficiaires effectifs, telles que des copies de cartes d’identité nationales ou de passeports. RCCM compare la concordance des informations déclarées avec ces preuves documentaires. Les entreprises déclarant des données sont également tenues de déclarer que les informations fournies sont exactes », souligne-t-elle dans son rapport d’évaluation du Sénégal.

Aussi, l’Organisation recommande-t-elle au gouvernement, entre autres, de « mettre en œuvre un processus de vérification robuste dans le cadre de la mise en œuvre d’un système de reporting BO à l’échelle de l’économie. »

Ici, il y a lieu de souligner que le greffier en charge du RBE est en partie responsable de cette situation. En effet, l’Article 8 du décret N° 2020-791 du 19 mars 2020 lui attribue la responsabilité de s’assurer que la déclaration sur les bénéficiaires effectifs qui lui est soumise est conforme aux dispositions réglementaires en vigueur.  

L’Etat ferme les yeux

En vertu des lois et principes, les entreprises défaillantes sont normalement passibles de sanctions administrative et pénale attachées au défaut de la déclaration ou de dépôt d’informations inexactes ou incomplètes, ainsi que le prévoit l’Article 14 du décret relatif au RBE.

Celui-ci dispose : « Les entreprises assujetties à la déclaration des bénéficiaires effectifs dispose d’un délai de six mois à partir de l’entrée en vigueur du présent décret pour procéder à la déclaration sur leurs bénéficiaires effectifs. A défaut d’avoir satisfait cette obligation, les sanctions administratives et pénales prévues en la matière leur seront applicables. »

Cette disposition est identique au neuvième Principe d’Open Ownership, plateforme mondiale de soutien et de conseils sur la mise en œuvre de la transparence de la propriété effective. Selon ce Principe, « des sanctions et des mesures d’exécution adéquates devraient exister en cas de non-respect. »

L’on peut constater que le délai fixé est largement dépassé, trois ans après l’entrée en vigueur du décret en 2021. A ce jour, pratiquement une moitié des opérateurs détenteurs de titres d’hydrocarbures et miniers n’ont pas respecté cette échéance. En plus, beaucoup d’obligations citées plus haut ne sont pas respectées. Les autres ont fait des déclarations incomplètes.

Qu’en est-il actuellement des sanctions qui leur doivent être imposées ?

Dans son rapport d’évaluation, Open Ownership note que « …aucune pénalité n’a encore été imposée. Au lieu de cela, l’ITIE-SN et le RCCM se sont concentrés sur la persuasion, la sensibilisation à la nécessité de déclarer et l’éducation des entités déclarantes sur la manière de se conformer aux exigences de déclaration BO. »

Aussi, l’Organisation recommande-t-elle au gouvernement « d’introduire une série de sanctions financières et non-financières en cas de non-conformité dans le cadre de la législation visant à introduire un registre des BO à l’échelle de l’économie. »

Pour Open Ownership, l’application des exigences de déclaration des BO et la sanction du non-respect sont essentielles pour renforcer la confiance dans la fiabilité et l’exactitude des informations contenues dans un registre des BO.

Suggestions

Au vu de toutes ces violations de la réglementation et principes dépourvues de sanctions, il devient indispensable pour l’Etat :
  • d’imposer des sanctions pour faire respecter la réglementation en vigueur ;
  • de corriger les manquements en obligeant les déclarants à divulguer toutes les informations exigées par les Lois et Principes ;
  • d’inviter le greffier en charge du RBE d’assumer sa responsabilité de vérification de toutes les informations déclarées ;
  • de sanctionner les autres entreprises retardataires à la déclaration de leur (s) bénéficiaire (s) effectif (s) et de leur imposer leur divulgation immédiate.
En plus, pour le droit à l’information du public, il serait salutaire de réviser le décret relatif au RBE en vue lever la contrainte de l’accès en y intégrant les journalistes d’investigation détenteurs de la carte nationale de presse et la société civile active du secteur extractif sénégalais. 

La prise en compte intégrale de ces recommandations nous paraît essentielle pour une transparence des bénéficiaires effectifs.

Comprendre l’obligation de divulgation des données des bénéficiaires effectifs

Ici, il nous semble important de préciser le terme ‘’bénéficiaires effectifs’’ pour en faciliter la compréhension aux lecteurs.

Au sens de l’Article 11 du décret N° 2020-791 du 19 mars 2020 relatif à la divulgation des données sur le Registre des Bénéficiaires Effectifs (RBE), « le terme Bénéficiaire effectif (BE) désigne la ou les personnes physiques qui possèdent ou contrôlent directement ou indirectement, la personne morale ou physique immatriculée ou déclarant son activité. »

Sont visées par cette disposition, « les personnes physiques qui détiennent directement ou indirectement au moins deux pour cent du capital des droits de vote de la société déclarante et les personnes physiques qui exercent, par d’autres moyens, un pouvoir de contrôle sur les organes de gestion, d’administration ou de direction de la société déclarante. » 

« A défaut d’identification selon les deux critères précédents, le bénéficiaire effectif est la personne physique qui occupe directement ou indirectement, notamment par l’intermédiaire d’une ou plusieurs personnes morales, la position de représentant légal de la société déclarante. »



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